Il y’a encore quelques mois, il m’était impossible de manger devant qui que ce soit et encore moins devant des personnes que je ne connaissais pas ou peu.
La peur du regard, la peur du jugement, la peur de la perte de contrôle ou du trop de contrôle, la peur de ne pas être « normale », dans un sens ou dans un autre, dans mon comportement alimentaire à la vue des autres.
J’ai passé des années à mentir, à dire que je n’avais pas faim, que j’étais malade, que j’avais déjà mangé, pour éviter tout contact d’aliments avec ma bouche aux yeux de qui que ce soit.
Je mentais pour ne pas qu’on remarque, pour ne pas qu’on pose de question. Mais quand les regards se détournaient de moi, alors l’anarchie commençait. Des kilos et des euros d’aliments ingurgités à toute vitesse dans le plus grand secret. Manger était une honte mais criser était pire. Un échec, une humiliation. Je me laissais aller à mes instincts premiers. Submergée par un dégout de moi-même profond.
Puis il y a eu la clinique.
J’ai réappris à manger, un peu mieux, plus régulièrement, mais toujours seule, devant le mur beigeâtre de ma chambre.
Doucement j’ai accepté de prendre des repas devant ma mère. Sous quelques conditions tout de même : pas de commentaire, ni dans un sens, ni dans un autre. Que je mange trop ou pas assez, il ne fallait surtout pas me le dire au risque que je me braque et que ça finisse en crise de larmes ou au fond des toilettes.
Il y a deux mois je suis sortie.
Nouveau départ, nouvelle ville, nouvelle école, nouvelles personnes.
J’avais deux choix : mentir, encore, replonger dans ce cercle vicieux ou décider que ça suffisait, que la maladie m’avait fait dire mon quota de mensonges pour un bon moment.
C’est dans cette optique de « plus de mensonge et plus de honte » que j’ai pris mes premiers repas du midi entourée de mes camarades de classes que je ne connaissais que depuis quelques jours.
Et à ma grande surprise (enfin… non, mais à la surprise de mon moi peu raisonnable) PERSONNE ne regardait, commentait ou jugeait ce qu’il y avait dans mon assiette, ma façon de manger ou les quantités.
Bizarre ? Non. Parce qu’en fait, perdue au milieu de mes pensées maladives tournant presque exclusivement autour de l’alimentation, j’ai trop cru que les autres avaient les mêmes préoccupations que moi.
Si moi je scrute les assiettes de mes voisins, eux font forcément de même.
Et en fait, il n’y a que moi qui me juge et me rend malade pour ça. Il n’y a que moi qui vérifie que je ne mange pas plus que les autres, plus gras ou plus mal.
Depuis deux mois, je mange tous les jours de la semaine avec des gens et bien que ce soit encore dur de ne pas psychoter sur un regard perdu au-dessus de mes légumes, je peux vous assurer qu’en beaucoup de point, ça m’a changé la vie.
Se nourrir ce n’est pas simplement alimentaire, c’est aussi se nourrir des autres, des conversations, des rires et des points de vue, échanger.
Les repas, en particulier en France sont de parfaits moments de convivialité. Les TCA isolent c’est un fait. Retrouver le plaisir de partager un repas est pour moi une étape cruciale de la guérison. Parce que manger ce n’est pas juste mettre de la nourriture dans son corps. C’est ce que je croyais encore il y a quelques temps.
Ce qui m’aide ? Me raisonner quand ma tête anorexique compare ce que je fais ou mange avec d’autres, parce que chacun est différent, personne n’a besoin des mêmes choses au même moment.
Je me rappelle que si je me suis préparé ce repas, c’est parce que je sais ce qui est bon pour moi, que je sais ce dont mon corps a besoin pour être satisfait tant au niveau quantité qu’au niveau gustatif.
Alors non, ce n’est pas tous les jours facile, mais aujourd’hui, je peux sortir en soirée en sachant qu’il y aura des pizzas et en manger, je peux aller boire un verre sans avoir peur que l’apéro se finisse en repas et qu’il me faille m’enfuir en trouvant une « bonne excuse », je peux vivre une vie sociale sans que celle-ci tourne autour de la question « est-ce qu’il y aura de la nourriture ? »
Si la satisfaction de manger n’est pas complètement revenue, le bonheur de ne plus m’isoler sous prétexte que la situation sociale implique manger, c’est une renaissance.
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Coucou Lucile !
Je te remercie pour cet article vraiment très enrichissant. Je m’identifie vraiment à ton histoire, bien que de mon côté je n’ai jamais connu de véritable crise de boulimie. Ca me donne énormément d’espoir pour « oser » le regard des autres. Bien que je me force à manger avec ma famille, avec mes amies, c’est encore une pression énorme de devoir se servir (ou se laisser servir) en ayant l’impression que « ma vie sociale » se joue sur mes choix (et quantités) alimentaires.
Je pense que cette peur du regard de l’autre n’est pas uniquement liée à mon TCA, je me suis toujours comparée aux autres, en essayant de m’adapter pour de donner une » bonne » image. Comme toi, j’ai bien compris qu’il n’y avait pas d’alimentation idéale, et encore moins aux regards de nos proches…Mais entre la théorie et la pratique, cela reste encore à exercer.
Merci d’avoir pris le temps de témoigner, tu m’as donné une impulsion supplémentaire 🙂 !
Merci Lucy pour ce commentaire ! J’espère que cette impulsion vous aidera à aller chaque jour un peu mieux 🙂