… (et peut déclencher des troubles alimentaires).
Avec plus de 174 millions de posts sur Instagram en juin 2021, le #healthy inonde les réseaux sociaux et attire particulièrement les jeunes de 18-24 ans en quête de modèle nutritionnel. Il s’articule autour de deux principes : le soin apporté à la qualité de l’alimentation, et la pratique régulière d’une activité physique.
Par Pascale Ezan, professeur des universités, chercheuse comportementale
L’examen des publications « healthy » montre que cette tendance revêt un caractère protéiforme et touche majoritairement des femmes qui sont à la fois les émetteurs et les cibles des contenus autour de ce thème. La pandémie a particulièrement accentué les préoccupations de la population pour la santé, notamment chez les jeunes chez qui elle a été un élément déclencheur d’un changement des habitudes de vie.
Connectée en permanence, la génération Z est immergée depuis l’enfance dans deux mondes, réel et virtuel, et navigue en moyenne sur 4,4 plates-formes différentes. Sur ces plates-formes, elle rejoint de nombreuses communautés virtuelles qui font émerger des influenceurs. Parmi elles, le phénomène « healthy » rencontre une adhésion croissante de la part des adolescents et des jeunes adultes.
De fait, la génération Z entretient un rapport particulier à l’alimentation. Exposés depuis l’enfance à de nombreuses injonctions, parfois contradictoires, autour du « manger sain », les jeunes consommateurs sont en quête de repères nutritionnels qu’ils vont rechercher prioritairement sur Internet, au sein de communautés virtuelles.
Ces espaces d’échanges leur permettent d’accéder à des informations multiples autour de l’alimentation, des messages non moralisateurs essentiellement fondés sur des partages d’expériences individuelles montrant les bénéfices du manger sain et véhiculés principalement par des jeunes comme eux.
La place hégémonique d’Instagram
Les influenceuses « healthy » choisissent de s’exprimer principalement sur trois réseaux sociaux : Instagram, YouTube et Facebook.
Instagram occupe une position quasi hégémonique dans la mise en scène du « manger sain » et s’impose aux autres réseaux sociaux comme modèle pour structurer les publications photographiques et vidéographiques sur ce thème. Des centaines de milliers de comptes d’influenceurs de la tendance healthy y sont présents et reprennent le standard de la photographie esthétisée, conjugué à des discours uniformes promouvant les aliments et les plats associés au « healthy ». Ces derniers doivent être « instagrammables » c’est-à-dire beaux à la vue et bons pour la santé.
Sur YouTube, les publications « healthy » prennent plutôt la forme de vlog permettant de partager des expériences quotidiennes, en zoomant sur la préparation des repas.
Enfin, sur Facebook, la tendance « healthy » se laisse voir au travers de groupes privés, de communautés axées sur l’entraide, le partage de conseils et de recettes, mais semble moins attirer les 18-25 ans, moins actifs au sein de ces groupes.
Afin de s’imposer comme des références incontournables du mouvement « healthy », les influenceuses n’hésitent pas à décliner leurs publications sur deux ou trois plates-formes simultanément, jouant ainsi sur la complémentarité des contenus et des réseaux.
A écouter : Les réseaux sociaux influencent-ils notre alimentation ?
La promotion d’une alimentation équilibrée
Le #Healthy, sur les trois réseaux sociaux étudiés, prône un nouveau modèle alimentaire qui repose principalement sur des aliments et recettes dites « équilibrées », composées en règle générale de produits frais (légumes et fruits) et de viandes maigres, et où la consommation de produits sucrés, gras et industriels est limitée, sans pour autant qu’ils soient proscrits.
Les influenceuses « healthy » adoptent un ton informatif, léger, déculpabilisant, parfois même humoristique et affichent des objectifs liés au bien-être, au manger mieux, au rééquilibrage alimentaire et à la forme physique. La notion de plaisir est très présente dans les publications et les produits gourmands n’en sont pas exclus. Il s’agit de promouvoir une apparence corporelle visant à renforcer l’estime de soi des jeunes femmes. En outre, les marques sont mobilisées comme moyen de légitimation des recommandations.
En revanche, dès lors que la tendance « healthy » est associée au fitness, les publications changent de registre et de ton pour devenir plus coercitives en invitant à contrôler ses pulsions alimentaires et à exercer une activité physique régulière, voire intensive.
Les recettes ne sont plus associées au plaisir mais à un référentiel d’entrainement de sportif de haut niveau où les objectifs affichés sont le contrôle du corps. Les conseils nutritionnels sont normatifs, affichent une tendance végétarienne, hyper protéinée, et placent les produits sucrés en récompense ultime.
Un véritable style de vie
L’observation des comptes « healthy » laisse émerger un phénomène de mimétisme entre les macro et les micro-influenceuses qui utilisent toutes des codes de publication similaires. Cette standardisation contribue à l’émergence d’une néo-culture alimentaire globalisée qui valorise le culte du résultat.
Loin d’interpeller l’internaute uniquement sur le manger sain, le phénomène « healthy » embrasse de manière plus vaste un style de vie centré sur une vie saine et des choix engagés à tous les niveaux.
Surnommés « génération salade » aux États-Unis, ces jeunes forment en effet une génération engagée, sensible aux discours autour des circuits courts, des produits frais et des nouveaux régimes alimentaires « sans » (sans gluten, sans sucres ajoutés, sans viande, etc.) car, au-delà de l’argument santé, ils ont le sentiment de contribuer à sauver la planète.
Véritable phénomène de société, le « healthy » devient un argumentaire de vente qui se déploie au-delà du périmètre du numérique et se retrouve dans les rayons d’enseignes comme Cultura ou Fnac avec des livres de recettes réalisés par les influenceurs et figurant parmi les meilleures ventes. Plus qu’un mode de vie, le « healthy » devient un mot générique utilisé par les marques pour mettre en valeur certaines dimensions de leurs produits.
Néanmoins, alors que la crise sanitaire a entraîné une augmentation de la consommation numérique chez les jeunes, on est en droit de s’interroger sur les conduites à risques que ces publications peuvent induire chez de jeunes adultes en quête de repères. Il s’agira de comprendre si l’exposition aux publications de ces communautés reconfigure de façon positive leur façon de manger ou si peut entraôner des comportements déviants pouvant déboucher sur des Troubles du Comportement Alimentaire (TCA).
En outre, les mises en scène observées sur les comptes « healthy » doivent également nous interpeller sur le formatage des représentations choisies et le caractère stéréotypé du genre féminin qui y est exposé et pouvant entraîner la diffusion de normes et valeurs susceptibles d’impacter de façon délétère l’estime de soi de ces jeunes femmes.
Article précédemment publié sur le site The Conversation France
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