Comment prôner à la fois une attitude positive et inclusive vis-à-vis du corps tout en continuant à célébrer la perte de poids? C’est impossible.

Se remettre d’un trouble du comportement alimentaire, c’est un peu comme prendre la pilule rouge dans Matrix: on se sent libéré·e des contraintes et des attentes d’une société obsédée par l’image, alors que la plupart de vos proches ont pris la pilule bleue et sont restés coincés dans un monde paralysant et insipide. C’est une liberté solitaire qui vous fait regretter la compagnie des autres.

Quand j’ai entrepris une thérapie d’alimentation intuitive en 2015, afin de guérir de troubles alimentaires de longue date, je ne savais pas du tout ce qui m’attendait. Le programme visait en grande partie à changer mes circuits cérébraux et comprendre comment faire confiance à mon corps, sa faim et son désir d’être nourri, et non affamé. J’ai dû apprendre à ne pas faire de régime, cesser de me peser et de me comparer aux vedettes auxquelles je désirais tant ressembler.

Mais ce programme d’alimentation intuitive m’a aussi appris à changer de discours sur la perte de poids.

J’ai été surprise quand ma thérapeute m’a préconisé de ne pas faire de compliment aux gens qui perdent du poids. Malgré la pression que je ressentais à conforter les gens qui parvenaient à perdre une taille, il était de mon devoir de ne pas contribuer à la conversation dysfonctionnelle qui entoure l’image du corps dans notre société.

Ne pas féliciter quelqu’un pour sa perte de poids ? Cela semblait tellement contre-intuitif !

J’avais grandi en regardant des vidéos d’Oprah Winfrey en train de tirer un sac de viande grasse dans un chariot rouge pour montrer le nombre de kilos qu’elle avait perdus grâce à son régime liquide (33,5 kilos). Je voyais Marie Osmond vanter les mérites des livraisons de repas diététiques insipides pour que les abonnés maigrissent chez eux. Je me suis inscrite à Weight Watchers à l’âge de 13 ans afin de me débarrasser des kilos qui venaient naturellement avec la puberté. Pourquoi n’était-il soudain plus acceptable de féliciter les gens qui perdent du poids? J’avais toujours agi comme ça. Je ne voyais que ça. Comment faire autrement?

J’ai mis des années à prendre la juste mesure de cette règle et les raisons pour lesquelles personne ne devrait faire de compliments sur une perte de poids.

Chaque fois qu’une de mes connaissances a manifestement maigri, je vois sur les réseaux sociaux des messages comme: “Waouh, superbe! Continue comme ça!” ou “Je suis fière que tu prennes ta santé au sérieux!” Or je sais que les compliments sur une perte de poids sont une stratégie perdante, pour différentes raisons.

Tout d’abord, cela confirme le discours éculé selon lequel plus on est mince, mieux c’est. Comme si atteindre l’idéal d’une svelte silhouette valait mieux que d’avoir des formes. Comme si les personnes grosses étaient laides et responsables de leur obésité.

Comment prôner à la fois une attitude positive et inclusive vis-à-vis du corps tout en continuant à célébrer la perte de poids? C’est impossible.

Et si la personne que nous complimentons reprend du poids? Est-on censé la réprimander? A-t-elle échoué? Avait-elle plus de mérite en étant plus mince? La confirmation de l’estime qu’on lui porte devient-elle caduque lorsqu’elle grossit?

Qui nous dit qu’elle avait l’intention de maigrir? Une amie de ma mère suivait une chimiothérapie quand elle a commencé à recevoir des flots de compliments sur son poids. Elle n’avait pas parlé à beaucoup de gens de son cancer. Pendant des années elle avait suivi un régime amaigrissant, sans parvenir à se débarrasser de ses kilos en trop. Pourtant, alors qu’elle était mourante, les autres la trouvaient plus belle, plus épanouie, comme quelqu’un qui aurait enfin atteint ses objectifs.

Après avoir accouché de mon fils en 2019, j’allaitais et dormais très peu, ce qui compliquait ma vie, socialement et professionnellement. Je ne voyais jamais mes amis parce que j’avais trop peur de confier mon fils à des nounous. Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais perdu beaucoup de poids pendant cette période éprouvante.

Un jour, alors que j’étais à peine réveillée et que je portais une robe tachée de lait, quelqu’un m’a dit: “Tu es magnifique! Tu as perdu tout le poids pris pendant la grossesse et plus encore!” J’avais maigri, non pas délibérément, mais parce que je souffrais émotionnellement et physiquement. Je ne mangeais et ne dormais pas assez, j’étais déprimée, mais les autres interprétaient ma perte de poids comme une réussite.

J’ai accepté le compliment parce qu’il est difficile d’expliquer en deux mots pourquoi ce genre de commentaire est déplacé, mais il a réveillé la personne en moi qui avait été obsédée par son poids avant la thérapie. Même après la guérison, je me sentais encouragée.

Autre raison pour laquelle vous ne devriez pas féliciter quelqu’un d’avoir perdu du poids: la personne est peut-être en cours de guérison et ce compliment anéantit ses efforts. Moi qui avais torturé mon corps pendant des années pour être considérée comme une belle femme, je n’avais pas besoin d’être encouragée. J’avais besoin d’une sieste.

Et si la personne que vous félicitez souffre toujours d’un trouble alimentaire et a besoin d’aide plutôt que d’encouragements?

À la fin de mon adolescence, alors que je me débattais avec mes troubles du comportement alimentaire, une professeure m’a interpellée dans le couloir pour me confier que mes camarades de classe trouvaient que j’étais devenue très belle et m’a affirmé que je devais être fière d’avoir atteint mon poids idéal.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est que je ne consommais que 500 calories par jour, que je mâchais des chewing-gums sans sucre pour éviter la faim, que j’étais toujours au bord de l’évanouissement et que mes règles s’étaient arrêtées six mois auparavant parce que j’étais sous-alimentée. Je n’avais pas besoin qu’on encourage ma maladie. J’avais besoin qu’on me sauve de moi-même.

Article initialement publié sur le site du Huffpost américain.