De mon histoire avec l’alimentation, retenons simplement que je n’ai pas une relation sereine avec mon corps ni avec la nourriture depuis longtemps, même si je n’en ai pris conscience que récemment. Les TCA sont assez difficiles à définir, certains se ressemblent et une même personne peut souffrir de plusieurs troubles à la fois. Hyperphagie, hyperphagie boulimique, boulimie non vomitive, addiction à la nourriture, anorexie, boulimie… Je n’ai pas été diagnostiquée hyperphagique par un professionnel mais d’après les lectures et échanges que j’ai pu avoir, c’est bien d’hyperphagie dont je souffrais.
Au mois d’août 2017, un voyage entre amies est prévu dans le sud de l’Espagne. Je sais que l’on passera une grande partie du séjour en maillot de bain. Je suis la plus sportive du groupe alors je me mets une pression pour être « à la hauteur » du corps que mes amies s’attendent à voir.
Un régime strict
Pour m’y préparer, je décide au mois de mai d’intensifier mon entraînement sportif. Mon coach de l’époque me propose dans un email de me composer un plan alimentaire pour « dégraisser un peu avant l’été ». Précisons que je ne suis pas du tout en surpoids, je suis même plutôt mince et musclée. Mais ce mot, « dégraisser » provoque un truc chez moi. À partir de ce moment là, je me sens grasse. Je vois le mot « graisse » partout sur mon corps. Alors je dis OK pour une diet assez stricte que je suis à la lettre.
Pendant trois mois je me prive de beaucoup d’aliments. Mes apports caloriques sont corrects mais je ne m’accorde aucun plaisir, zéro sucrerie. Je suis contente du résultat et je profite de mon séjour en Espagne. Au même moment, je me sépare de mon compagnon après sept ans de relation. Je dois chercher un appartement et déménager. Mon rythme d’entraînement est rompu, je n’ai plus aucun objectif physique et clairement d’autres choses en tête.
Je commence à perdre le fil du sport et de l’alimentation. Je me mets à manger de manière décousue et je redécouvre des aliments dont je me privais depuis des mois voire des années : les biscuits, les viennoiseries, les sandwiches, le chocolat, les hamburgers…
Ma première crise d’hyperphagie
Je me souviens de ma première grosse crise. J’avais avalé un bagel à 16h avec ma tante, et puis sur la route du retour, une fois seule, je passe à la boulangerie. Je choisis une salade complète et une quiche. Je passe aussi acheter des biscuits. Une fois rentrée, je commande un gros repas en ligne. Tout me fait envie, j’ai envie de manger absolument tout.
Envie ? Non, besoin. Et tout y passe, dans un ordre anarchique et en un laps de temps record. Les crises vont se répéter ponctuellement, surtout avec des biscuits et des barres chocolatées. Pour contrer « ça », je décide de faire un jeûne d’une semaine. C’est la pire chose à faire. Une fois le jeûne terminé, mes crises reviennent beaucoup plus fortes et plus fréquentes. Presque chaque jour, je suis prise d’un besoin irrépressible de manger des trucs gras et sucrés. Avant de rentrer chez moi le soir, je passe au supermarché m’acheter des biscuits et parfois j’ouvre le paquet dès que j’ai mis un pied dehors.
Au bureau, nous avons des petits-beurre en sachet de deux, pour nos visiteurs. Quand ma collègue n’est pas là et que je suis seule dans le bureau, je les mange tous. Ça commence par un sachet « pour mon dessert ». Et puis deux, trois, quatre… dix… Je finis par rester debout à côté de la boîte et j’enchaîne les biscuits sans pouvoir m’arrêter. Je mâche à peine, ma poubelle se remplit d’emballages vides que je camoufle après avec d’autres papiers par-dessus. Ensuite, je rachète des petits-beurres avant le retour de ma collègue pour qu’elle ne s’aperçoive de rien. Et ça recommence dès qu’elle s’absente. Quand j’ai terminé le stock de petits-beurres mais que ma crise n’est pas finie, je vais voler ses biscuits dans son placard. Et j’en rachète avant son retour… et ainsi de suite.
Un besoin de manger absolument incontrôlable
C’est un besoin de manger absolument incontrôlable. Quand je ne suis pas seule au bureau, j’attends avec impatience de rentrer chez moi avec de la nourriture, de fermer les volets et de manger.
Pendant les crises, j’ai l’impression de ne plus être moi-même. Mon cerveau est déconnecté, je ne contrôle plus rien, je ne ressens plus rien, juste un besoin irréfrénable d’avaler des aliments sans m’arrêter. À tel point qu’un jour je passe chez MacDo après mon travail. Alors que je suis végétarienne, je m’achète un menu XXL et je mange tout, y compris la viande. Je me moque de ce que je mange, je sais juste que je veux manger ça,. C’est incontrôlable, je suis incapable d’arrêter.
Après une crise, parfois « tout redevient normal ». Je vais immédiatement jeter aux ordures tous les emballages, j’élimine toute trace de l’acte et j’essaye d’oublier. Je me dis « c’était la dernière fois ». Parfois, ce que je viens de faire me rattrape avec une claque énorme. Je regarde le nombre de calories sur les paquets et je calcule le nombre de calories que j’ai ingurgitées en 15 minutes : 1000, 2000, 3000… Les chiffres s’envolent et m’affolent. Je me déteste, j’ai envie d’effacer tout ça.
Je panique à l’idée de me retrouver dans un endroit sans accès à de la nourriture. À l’époque je passe beaucoup de temps dans les gares et les métros où les distributeurs automatiques sont devenus mes points de repère, mes compagnons rassurants toujours présents (alors qu’ils sont à l’opposé de mes convictions écologiques). Ils me donnent à manger sans me juger. Ce sont mes dealers aveugles et silencieux.
La honte et le mal-être physique
J’ai tellement honte de mon comportement que je n’en parle à personne. J’ai une peur bleue de faire des crises devant d’autres personnes alors, par exemple, je mange systématiquement avant les apéros entre amis. Ça ne m’empêche pas d’engloutir les restes quand on débarrasse et que je me retrouve seule dans la cuisine.
J’ai honte d’être vue en train d’acheter « des cochonneries » alors je ne vais pas toujours au même supermarché. Quand je fais la queue avec seulement des paquets de biscuits j’ai l’impression que tout le monde me regarde.
Dans le cas de l’hyperphagie, on ne se fait pas vomir volontairement. En réalité je déteste vomir alors je serre les dents après les crises pendant que mon système digestif essaye de s’en sortir comme il peut. J’ai tout le temps l’estomac en vrac, la nausée, des maux de ventre. Je manque d’énergie car ce n’est pas du tout une alimentation qui convient à l’organisme. Je suis fatiguée car j’ai mal au ventre et que mes nuits sont agitées.
J’ai l’impression d’être folle
J’ai complètement perdu la notion de faim et de satiété. Je pleure, je m’énerve, je pète les plombs. Je ne me reconnais pas, j’ai l’impression d’être folle et de perdre complètement le contrôle. Et cela m’angoisse au plus haut point.
Inévitablement, mon corps subit les conséquences de cette alimentation (rétention d’eau, cellulite…), d’autant plus que je ne fais plus du tout de sport.
Je n’ai pris que 3kg mais dans ma tête je suis déjà obèse.
En fait, je me sens tellement mal dans ma peau que je suis mal à l’aise devant les gens. J’ai l’impression que tous mes proches se disent « wahou qu’est-ce qu’elle a grossi ! », que toutes les personnes que je croise pensent « elle est grosse celle-là ». Plus je me sens mal, plus j’angoisse et plus les crises s’installent. Je veux rependre le contrôle coûte que coûte mais je n’y arrive pas. C’est un cercle vicieux.
Après six mois d’hyperphagie, je n’en peux plus. Je décide d’aller voir un hypnothérapeute. Je suis totalement stressée avant le rendez-vous. J’ai peur de son regard et de son jugement : « Il va se dire que je suis grosse et complètement tarée ». Il pratique l’hypnose conversationnelle donc ce sont des séances axées sur la discussion, entrecoupées d’exercices d’hypnose. Quand il me demande ce qui m’amène, j’ai du mal à répondre. J’ai envie de partir en courant. Et puis on parle, longtemps. Je m’aperçois qu’il ne montre aucun jugement. Parler sans craindre le jugement me fait un bien fou.
Arrêter de vouloir contrôler
Je ne vais pas vous expliquer le contenu de notre échange mais retenez son conseil : il me conseille d’arrêter de vouloir contrôler, d’arrêter d’avoir peur des crises, de les laisser venir et de les écouter. De les accepter. Il me dit qu’elles s’arrêteront une fois que j’aurais accepté que je ne peux pas tout contrôler dans ma vie, une fois que je serai prête. Sur le moment, je me dis qu’il raconte un peu n’importe quoi mais je décide de lui faire confiance.
La fois suivante, au moment où je sens venir une crise compulsive, je me dis : « OK. Elle va venir, c’est comme ça. Alors assouvis-la. » Je dirais que je me suis livrée corps et âme pour ne faire qu’un avec les crises. Et à partir du moment où je les ai totalement acceptées, elles ont commencé à diminuer. Je sais, ça paraît fou, mais c’est le cas. On peut faire un parallèle avec de l’eau et des barrages. Vous aurez beau essayer de contrôler à tout prix un torrent déchaîné en construisant des barrages toujours plus larges et toujours plus nombreux, l’eau sera toujours plus forte et les barrages finiront par céder. Tandis que si vous acceptez de laisser le torrent suivre son cours en construisant simplement de petits canaux en cas de pluie, vous trouverez un équilibre.
Dans le même temps, j’ai arrêté de suivre sur Instagram tous les comptes fitness qui me faisaient culpabiliser.
Je n’assumais plus mon corps donc inutile de me torturer en regardant celui des autres. J’ai aussi arrêté de suivre les personnes qui avaient un discours culpabilisant sur la nourriture, qui parlaient de restriction, de cheat meal, de compter les calories. Je me suis intéressée à la notion de diet flexible et d’alimentation intuitive. J’ai découvert des personnes dont le discours sur le corps et l’alimentation a complètement changé ma façon de voir les choses. J’ai arrêté de voir la nourriture comme un élément à gérer et maîtriser.
S’écouter et s’accepter
Cela fait plusieurs mois que je n’ai pas fait de crise d’hyperphagie. Ma relation avec la nourriture n’est pas encore tout à fait apaisée mais j’apprends à m’écouter et à m’accepter. Je retrouve petit à petit une alimentation plus intuitive, à l’écoute de mon corps et de mes sensations. Parfois, il m’arrive de faire de petites crises compulsives. Si je sens que ça m’arrive dessus comme une vague de dix mètres, je plonge dedans et ce n’est pas grave.
Je travaille sur mon stress et mon bien-être général. Et surtout, je ne m’interdis plus aucun aliment. J’ai compris que ce sont les années passées à m’interdire certains aliments, à vouloir contrôler ce que je mangeais, qui m’ont amenée aux TCA. Je m’aperçois que mes envies se régulent d’elles-mêmes. Je mange peu de choses grasses et sucrées parce que je n’en ai tout simplement plus envie.
Sur la bonne voie
Pendant des années, je m’interdisais d’avoir des biscuits chez moi pour ne surtout pas en manger. Maintenant je m’oblige à avoir un paquet en réserve en cas d’envie, pour ne surtout pas me frustrer. C’est une approche radicalement différente et ça me change la vie.
Je réapprends donc petit à petit à apprivoiser la nourriture, c’est un chemin long et lent mais je sais que je suis sur la bonne voie. J’ai repris le sport sans me forcer et c’est un véritable plaisir. Je me sens de nouveau plus dynamique et bien mieux dans mon corps.
Je ne m’en veux plus et je m’aime (bon ok, pas tout le temps, mais j’y travaille), avec mes points forts et mes points faibles.
Apprendre à s’aimer et à s’accepter : c’est ça, la première clé pour avancer sereinement.
Ce témoignage a été initialement publié sur Rockiemag
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Merci pour ce témoignage très parlant, où je me retrouve beaucoup, et ça fait du bien sincèrement, car je trouve peu de témoignage d’hyperphagie qui ressemble à ce que je vis…
Je suis le même chemin concernant la réintroduction des aliments et de la permission totale d’en manger, mais grâce à ce témoignage, je me rends compte que je suis loin de l’acceptation de mes compulsions alimentaires, de cette furieuse envie de me remplir et m’anesthésier mentalement.
Je ne pense pas qu’accepter ses crises soit suffisant quand on a d’autres problèmes psychologiques sous-jacents à ce comportement alimentaire (dépression, trouble de l’humeur…ce qui est tout aussi dur à accepter) et qu’il y a une recherche d’anesthésie mentale, mais oui, accepter est nécessaire pour avancer et ne plus avoir honte de soi et de ce qu’on vit.
Courage à toutes les personnes qui vivent celà.
Magnifique et douloureux témoignage qui retranscrit tout ce que je vis depuis 36 ans. Malheureusement depuis septembre on m’a décelé une leucémie qui me fait dire maintenant que je me suis bien détruite et que le corps à un moment donné a réagi en négatif. Prenez conscience que vous maltraitez votre corps avec de graves conséquences arrivé à l’âge des chamboulements hormonaux, c’est-à-dire à la cinquantaine.
Oh Valérie, je suis sincèrement désolée d’apprendre cette nouvelle épreuve que vous devez traverser.
Je vous souhaite beaucoup de courage dans ce combat et vous assure de toute l’affection que vous envoie la feeleatfamily ❤️
Bonjour j’aimerais bien savoir comment faire pour ne plus avoir peur de faire des crises ? Comment les accepter ? Qu’est ce que ça signifie exactement ? Cela m’aiderait beaucoup.. Merci
Bonjour Nathalie,
En tapant « hyperphagie » dans la barre de recherche, vous trouverez de nombreux articles d’entraide et de témoignage.
Aussi, votre meilleur allié sera votre médecin ou professionnel de santé.
Ne perdez JAMAIS espoir. 😘
Merci pour le partage de ce témoignage où on peut constater que les mots sur les maux ont une grande importance. Cela ne fait pas tout, toutefois pour la confiance, l’estime de soi ils sont tellement marquants.
Bonjour,
Je me suis éveillée après une énièmes crise, je n’en avais plus fait depuis 3 semaines.J’étais si fière.Je suis suivie par une psy en EMDR.
J’ai 52 ans, et c’est la première fois que j’ose en parler.
Je remercie chacun d’entre-vous, vos partages sont des trésors qui aident à déculpabiliser.
Merci
Bonjour
Je viens de lire votre histoire qui pourrait etre la mienne.Le ressenti est identique.J’ai lu plusieurs articles sur la facon de se sortir de ce manege infernal et le point commun à toutes ces publications dont la votre est le « lacher prise » et « l’acceptation » .Votre temoignage est precieux pour moi et le fait de temoigner en vous livrant denudée montre votre empathie pour vos semblables , vous savez combien les gens dans notre cas souffrent et vous nous faites un cadeau immense en nous apportant votre temoignage qui represente la marche à suivre pour s’en sortir
Vous êtes une bonne personne Merci
Merci pour ce témoignage, c’est tellement important que les langues se délient et que ce sujet ne soit plus aussi tabou qu’il ne l’est… J’ai souffert de TCA pendant plus de 20 ans, j’ai pu commencer à guérir quand j’ai commencé à en parler. Mais c’est tellement difficile d’en parler autour de soi ! C’est pour ça que les témoignages sont si importants ! Merci
Super ce témoignage ! Très bien écrit qui plus est ! Je me reconnais bien, j’ai vu une hypnothérapeute aussi. Bien que les séances m’aient fait du bien sûr le coup, je n’arrive pas encore à me défaire de certaines habitudes ancrées. Je mange mes émotions. Je vais télécharger l’appli et continuer à me renseigner sur les TCA afin de poursuivre mon travail.
Bonjour,
Mille merci pour ce témoignage qui résume un suivi de guérison, bien utile pour ceux qui se battent et se détruisent sans savoir comment se sortir de ces crises d’hyperphagie.
Car je pense qu’il est difficile d’en parler quand on devrait oublier ces mauvais moments pour passer à autre chose.
Merci de penser encore aux autres.
J’ai découvert il y a seulement 2 semaines que je souffrais d’hyperphagie (on entend plus boulimie et anorexie).
Sur internet, j’ai vu qu’on nous conseille un thérapeute pratiquant les TCC… et cela m’amène à lire « les exercices de Thérapies Comportementales et Cognitives pour les nuls ». Le peu que j’ai lu m’apporte déja des explications et m’aide à réfléchir sur mon mal-être. C’est un livre personnel puisqu’on fait des exercices dessus.
Voila, si je peux aider… J’espère retrouver cette page dans qq mois pour vous dire ou j’en suis…
J’ai pris un RV avec un psychiatre en TCC en novembre 2021 seulement mais je commence le travail…
Courage à tous.
Martine 55 ans
Bonjour,
C’est un super témoignage ! Je suis content d’être tombé sur votre site car je trouve qu’il n’y a pas suffisamment de témoignages dans ce genre.
Les personnes atteintes d’hyperphagie sont très rarement diagnostiquées car c’est une pathologie peu connue et cela ne leur laisse du coup malheureusement que très peu de chance pour réussir à s’en sortir.
Ce fut mon cas car j’ai pendant très longtemps pensé que j’étais tout simplement trop gourmand avant de tomber par hasard sur ce trouble du comportement alimentaire sur internet.
J’ai moi aussi rédigé un témoignage sur mon hyperphagie sur mon blog (qui me sert beaucoup comme une thérapie). Peut-être que cela pourra vous intéresser vous ou vos lecteurs !
Mon témoignage : https://bonjourmotivation.fr/guerir-hyperphagie/
Bon courage à tous !
Robin